L’héritage écrasant du premier Gladiator
Quand on s’assoit pour regarder Gladiator II, on n’attend pas seulement un film d’action en costume. On attend une suite digne d’un chef-d’œuvre tragique et épique qui a marqué son époque. Le premier opus avait une âme, un héros magnétique et une intensité dramatique rare. Ridley Scott a-t-il réussi son pari et à faire une suite à la hauteur du premier ? Ou mieux ?!
Ridley Scott en roue libre
Dès la bataille d’ouverture en Numidie, j’ai compris qu’on n’allait pas me raconter une histoire, mais me livrer une succession de délires visuels hors de contrôle. Le général Acacius, campé par Pedro Pascal, entre dans la bataille comme un super-héros Marvel parachuté dans l’Antiquité : invincible, chorégraphié à l’excès, jamais menacé. Le ton bascule immédiatement dans l’artifice, loin de l’ancrage brutal et crédible que Ridley Scott avait su imposer en 2000.
Et puis arrivent les arènes. Là où Gladiator offrait une reconstitution viscérale et un spectacle dramatique, cette suite nous balance une ménagerie grotesque : babouins hystériques sortis d’un cauchemar de motion capture, rhinocéros kamikaze lancé comme un effet spécial bas de gamme, et jusqu’à des requins blancs nageant dans trois mètres d’eau comme si Rome s’était improvisée SeaWorld. C’est assumé et volontaire, mais ça n’a pas sa place ici, pas dans la suite d’un tel chef d’œuvre. Il y a même un côté 300 par moment, dans la lumière, dans la prise de vue. Ça aurait pu être jouissif comme une fable absurde et baroque assumée, j’y aurais trouver un plaisir coupable. Mais non : Ridley Scott bâcle le sérieux du premier opus mais sans nous l’annoncer, en prétendant livrait une fresque historique digne de l’original. Résultat : sortie de route complète.
Des personnages sans chair ni charisme
Lucius, censé être le cœur battant du film, n’est qu’une coquille vide. Paul Mescal erre ici comme un fantôme : jamais inquiet, jamais bouleversant, jamais capable de faire oublier qu’il n’est que l’ombre pâle de Russell Crowe. Impossible de croire à son destin quand le film lui refuse toute épaisseur psychologique.
Face à lui, Acacius, incarné par Pedro Pascal, semble avoir été écrit par un logiciel en panne. Tantôt mentor magnanime, tantôt brute sanguinaire, il change de visage au gré des besoins scénaristiques, sans jamais trouver une cohérence. Un personnage pensé comme ambigu finit juste incohérent.
Même Denzel Washington, qu’on croyait infaillible, se perd dans une caricature fatiguée avec Macrinus. Son sourire en coin, censé traduire la duplicité, devient un tic. Son jeu, d’ordinaire nuancé, se réduit ici à l’automatique. On cherche le charisme habituel, on ne trouve que des restes.
Et que dire des jumeaux Caracalla et Geta, joués par Joseph Quinn et Fred Hechinger ? Ils devraient incarner la folie du pouvoir, l’incendie moral de Rome. Ils essayent. Mais le film se contente de les camper en silhouettes toxiques et sous-écrites, sans jamais leur donner les moyens d’aller au-delà du cabotinage. Résultat : deux marionnettes grotesques et sans épaisseur là où on attendait des figures tragiques et complexes.
Une histoire sans colonne vertébrale
L’intrigue ne tient jamais debout. Elle avance comme un patchwork de scènes spectaculaires mal dosées, sans fil directeur ni souffle narratif. On commence par un prologue irréaliste en Numidie, aussitôt avalé par une succession d’arènes absurdes qui finissent par toutes se ressembler. Chaque séquence est pensée comme une bande-annonce autonome, sans jamais nourrir une tension dramatique continue.
Le duel final, censé porter le poids de toute la fresque, arrive tiède, sans enjeu ni intensité. On assiste à deux corps qui s’agitent dans le sable, pas à l’aboutissement d’un récit tragique. Même la réapparition des artefacts de Maximus – le casque, l’armure, la mémoire d’un personnage mythique – n’a pas suffi à réveiller quoi que ce soit. Le clin d’œil, lourdement appuyé, ressemble plus à une publicité nostalgique qu’à une transmission de flambeau.
Au lieu d’une catharsis, ce film n’offre qu’un grand vide. On sort non pas secoué ou bouleversé, mais simplement fatigué d’avoir assisté à une superproduction qui confond la démesure avec la grandeur.
Rupture de contrat avec Gladiator (2000)
Le plus grand tort de Gladiator II est de piétiner sans vergogne le pacte établi par le premier film. Gladiator (2000) reposait sur un équilibre rare : une mise en scène épique mais crédible, un souffle tragique maîtrisé, et un lyrisme visuel qui sublimait l’Histoire sans jamais la trahir complètement. Vingt ans plus tard, Ridley Scott semble avoir décidé que tout cela était optionnel.
Résultat : des tags modernes apparaissent sur les murs de Rome comme dans un clip de rap, des enfants jouent au ballon rond en pleine Antiquité comme si on tournait une pub Nike, et les arènes se transforment en cirque surréaliste peuplé d’animaux sortis d’un rêve fiévreux de producteur. Ce n’est pas une réinvention audacieuse, c’est une déconstruction paresseuse.
Les rares rappels à Maximus et au premier opus – la main qui effleure les blés, l’armure surgie comme une relique – n’apportent rien d’autre qu’un parfum de nostalgie forcée, une manière de supplier le spectateur de se souvenir d’un temps où Ridley Scott savait encore conjuguer spectacle et gravité. Là où Gladiator élevait son spectateur, sa suite le flatte à coups de gadgets anachroniques et d’images tape-à-l’œil.
C’est une véritable rupture de contrat avec le public : on était venus pour retrouver la noblesse d’une fresque tragique, on repart avec le clinquant d’un nanar qui se prend au sérieux.
Un sentiment global : la déception d’un grand gâchis
Visuellement, rien à redire : Dariusz Wolski, le directeur de la photo, continue de livrer des images léchées, et Ridley Scott, même à plus de 85 ans, conserve une ambition plastique que beaucoup de cinéastes plus jeunes n’osent plus. Certains plans isolés sont superbes, presque dignes de tableaux. Mais cette virtuosité ne sert qu’un projet creux, irréaliste et incohérent, une coquille brillante qui sonne creux dès qu’on la secoue.
On sent la puissance des moyens, le travail des équipes techniques, la volonté d’impressionner. Pourtant, tout cela se met au service d’une histoire sans ossature et de personnages vides, comme si l’emballage avait englouti le contenu. Mon seul véritable pic émotionnel, à la fin, n’a pas été provoqué par Lucius, Macrinus ou les arènes, mais par une immense déception.
Pas de grandeur, pas de tragédie, pas même le plaisir coupable d’un spectacle assumé. Juste le constat amer d’un grand gâchis, où la machine hollywoodienne a broyé ce qui faisait la force de Gladiator pour ne garder qu’un spectacle clinquant, sans âme et sans mémoire.
Conclusion
Gladiator II n’est pas seulement un mauvais film : c’est une suite indigne. En vingt-trois ans, Ridley Scott est passé d’un récit tragique et incarné à une fantaisie anachronique qui assume sa folie mais renie son héritage. Là où Gladiator avait su mêler spectacle et émotion, cette suite ne propose que des artifices numériques et des personnages creux.
Un tel film, radical, baroque, délirant et parodique, aurait pu fonctionner. Mais pas quand on se présente comme la suite d’un tel chef d’œuvre. La grandeur espérée se dissout dans le vacarme, et la seule émotion qui subsiste est celle d’un immense rendez-vous manqué.
Pour un film qui prétendait prolonger l’épopée de Maximus, on en ressort avec une certitude : certaines histoires n’avaient pas besoin de suite.
❤️ Les frissons et l’émotion de replonger dans l’univers de Gladiator, avant que le film ne commence…
❤️ Visuellement plutôt réussi
💔 Des scènes improbables et anachroniques
💔 Le non-respect de l’intelligence des spectateurs
Note : 26,00/100
Gladiator II est un spectacle clinquant et incohérent qui trahit l’héritage du chef-d’œuvre original, laissant derrière lui non pas la grandeur mais le goût amer d’un immense gâchis.
Société de production | Paramount Pictures Scott Free Productions Red Wagon Films |
Réalisation | Ridley Scott |
Scénaristes | David Scarpa David Franzoni Peter Craig |
Sortie | 2024 |