Gladiator 2 : Lucius & son Ballon d’Or de l’anachronisme

Lucius en tenue de combat tient son Ballon d'Or, parodie visuelle des anachronismes dans Gladiator II.
Lucius, en gladiateur romain, tient son Ballon d’Or durement gagné.

Quand on s’installe devant Gladiator II, on s’attend à retrouver la Rome tragique et majestueuse que Ridley Scott avait su convoquer il y a plus de vingt ans. On s’attend à voir des destins brisés, des luttes de pouvoir, une fresque où l’Histoire et la fiction dialoguent avec un certain respect. Et puis, soudain, Lucius apparaît enfant, gardien de but d’une partie de foot totalement anachronique… Aïe

Ce détail pourrait passer pour une fantaisie innocente, un simple jeu d’enfant inséré au détour d’une scène. Pourtant, il agit comme un révélateur : le film n’entend plus reconstituer un monde disparu, il le plie aux images et aux symboles les plus contemporains. L’Antiquité se dissout dans un clin d’œil familier, et cette scène – un match de foot dans la Rome antique – devient le signe d’une rupture. En une seconde, le spectateur cesse de croire à ce Rome cinématographique pour se retrouver devant une reconstitution qui ne cherche plus la vraisemblance mais l’effet immédiat.

Ce ballon rond n’est donc pas qu’une maladresse : il résume tout le problème de cette suite. Là où Gladiator s’efforçait de donner à son épopée une gravité crédible, Gladiator II choisit la facilité, et le spectaculaire et la simplicité priment sur la cohérence.

Quand la vraisemblance donnait du sens

On l’a souvent rappelé : Gladiator (2000) n’était pas un cours magistral d’histoire romaine. Oui, Ridley Scott prenait des libertés, compressait des événements, simplifiait des rapports de force. Mais il le faisait avec une certaine droiture, une sincérité qui donnait au film sa puissance : un spectateur pouvait croire à ce qu’il voyait, sentir le sable de l’arène, respirer la poussière du Colisée. L’illusion tenait parce que la cohérence n’était jamais rompue.

Vingt-quatre ans plus tard, ce pacte est brisé d’un coup de pied dans un ballon. Non pas un petit écart discret, mais une sortie de route spectaculaire. Le football, invention sportive contemporaine, s’invite au cœur de la Rome antique comme si de rien n’était. Et là, la magie s’effondre : plus de fresque, plus de tragédie, juste une scène qui convoque malgré elle le rire ou l’agacement. Le spectateur ne regarde plus un drame historique mais un nanar d’action, où l’anachronisme n’est plus un accident mais un aveu.

Du foot pendant la Rome antique ?

Qu’on se le dise : dans la Rome antique, personne n’organisait de petit match improvisé avec gardiens de but et cages improvisées. Le football n’existait pas, ni de près, ni de loin. Pas de gardien, pas de but, pas de jeu aux pieds : rien qui puisse justifier la scène que Ridley Scott a choisi de filmer.

C’est précisément ce qui rend l’image si incongrue. Le geste, anodin pour nous, est en réalité trop moderne, trop codé culturellement pour passer inaperçu. Des enfants qui tapent dans un ballon rond n’évoquent pas l’Empire romain : il convoque directement la Coupe du Monde, les stades contemporains, les dimanches après-midi devant la télé ou les après-midis à jouer avec les copains. Et au lieu d’un pont subtil entre passé et présent, on assiste à une rupture nette de crédibilité.

Ce n’est pas un clin d’œil malin, encore moins une métaphore poétique : c’est un faux pas. Et ce faux pas suffit à faire s’effondrer la suspension d’incrédulité, ce fragile équilibre qui permet au spectateur de croire, l’espace de quelques heures, à une Rome reconstituée.

L’harpastum aurait touché au but

Si l’on voulait rester fidèle à l’esprit de la Rome antique, Lucius aurait pu participer à une rencontre d’harpastum plutôt qu’un match de football. Ce jeu de balle, violent et collectif, n’était pas un simple passe-temps : il reflétait la rudesse des corps, la camaraderie et la rivalité, et préparait les jeunes à l’endurance et à l’agressivité propres à l’époque.

Filmer Lucius dans une partie d’harpastum aurait eu plusieurs vertus. D’abord, cela aurait préservé la crédibilité historique et la cohérence du récit. Ensuite, ce geste aurait symbolisé sa transformation : l’enfant fragile découvre la brutalité du monde, apprend à se battre, et se forge peu à peu pour devenir l’homme que l’histoire exige. Enfin, sur le plan visuel, le chaos contrôlé d’un terrain de jeu romain, mêlant corps, boue et effort, aurait offert une scène dynamique et dramatique, sans sacrifier la vraisemblance.

En un mot, l’harpastum aurait permis à Scott de conjuguer réalisme, symbolisme et spectacle, là où le football moderne ne fait que trahir le temps et la place de Lucius dans l’épopée.

Ridley Scott en avait plus rien à foot

Mais le football est universel, il parle immédiatement à tous les spectateurs. Et sans doute est-ce là que réside la tentation de Ridley Scott : un geste simple, reconnaissable, capable de capter l’attention sans explication. Sur le papier, c’est un raccourci séduisant, efficace comme un produit calibré pour le plus grand nombre.

Mais dans la pratique, ce choix se retourne contre le film. Plutôt que de guider le spectateur dans le monde qu’il construit, il l’infantilise et lui rappelle brutalement qu’il regarde une fiction qui ne cherche plus à respecter sa propre logique. L’immersion se fissure, la Rome antique devient décor, et déguiser Lucius en Gianluigi Donnarumma fait perdre toute sa crédibilité au film et la charge symbolique d’une scène qui aurait pu être ultra visuelle et scénaristiquement efficace.

Cette partie de ballon rond, censé créer un lien immédiat, détruit paradoxalement tout ce que la fresque historique avait bâti. La facilité scénaristique remplace la subtilité, et le spectateur se retrouve à observer un anachronisme là où il espérait du sens.

Quand l’anachronisme devient langage

Cette scène n’est pas un simple écart : elle est symptomatique d’un problème plus profond. Gladiator II ne se contente pas d’un anachronisme isolé, il enchaîne les libertés avec l’Histoire, multipliant les incohérences et les exagérations spectaculaires. Chaque choix visuel ou narratif semble dicté par l’envie de surprendre, d’impressionner, plutôt que par le souci de cohérence ou de vraisemblance.

Ce relâchement reflète une tendance plus large du cinéma blockbuster contemporain, où l’action tape-à-l’œil prime sur le récit et le réalisme. Les suites, en particulier, ont souvent ce défaut : reproduire la grandeur du premier film sans en comprendre la mécanique profonde, en pensant que la seule accumulation d’effets suffira à captiver le public.

Dans ce contexte, le ballon de Lucius n’est pas un détail, il est un signe : la Rome de Scott n’existe plus comme lieu crédible, mais comme décor malléable, prêt à servir le spectacle immédiat au détriment de l’histoire elle-même. On regarde juste un film. On n’aime ou on n’aime pas. On sort de la salle. Et on oublie déjà le film.

Du drame à la farce : un point de non-retour

La scène du foot avec Lucius en gardien n’est pas qu’un détail anachronique : il marque un moment où le film bascule, où le spectateur cesse de se laisser porter par la fresque et commence à observer, incrédule, un spectacle qui veut faire croire qu’il se prend au sérieux tout en perdant son sens. Rire, agacement, sidération se mêlent, et l’émotion que l’on espérait – gravité, tension, tragédie – s’évapore instantanément.

Cette scène symbolise bien plus qu’une maladresse de mise en scène : elle incarne le passage d’une œuvre respectueuse et ambitieuse à un divertissement absurde, calibré pour l’effet immédiat et le clin d’œil facile. Le spectateur n’est plus invité à pénétrer l’Antiquité, il est pris pour un simple consommateur de l’instant présent, infantilisée, pris à témoin de choix qui trahissent la cohérence et la profondeur de l’histoire.

En un geste, un ballon, l’héritage de Gladiator est mis en suspens, et la fresque tragique devient une image qui sombre du grandiose vers le ridicule. Le point de non-retour est atteint : l’illusion s’effrite, et avec elle, la magie du récit. On aurait pu creuser d’avantage avec d’autres scènes comme les requins blancs dans le Colisée par exemple, mais bon, vous avez compris l’idée…

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